DOSSIER - JAPAN EXPO 2017 : Quand GamerGen.com lâche une psy en totale immersion dans l'arène !
par Eric de BrocartQuelle vision a une psychologue clinicienne de tous ces cosplayeurs errant dans les couloirs de la Japan Expo ? Réponse dans son carnet de bord.
J’en étais là de mes pensées, quand j’ai rencontré la très jolie Naomie qui vient tout juste d’avoir 20 ans et qui est étudiante en japonais. Pour elle, le cosplay lui est apparu comme une évidence au début du collège, il y a huit ans. Le style, la culture, l’ouverture d’esprit, tout a changé pour elle à ce moment-là. Elle vivait alors dans un tout petit village de province. Elle se revendiquait à l’époque comme une petite lolita et se trouvait assez malmenée par le regard que les gens pouvaient poser sur elle. Aujourd’hui, elle vit à Paris et vit pleinement sa différence. Le cosplay lui permet d’aller plus loin que les tenues vestimentaires qu’elle peut aborder dans « sa vraie vie » de tous les jours.
Elle crée elle-même ses personnages, les dessine, les habille, leur fait raconter une histoire. L’avis de la psy serait de dire que, depuis huit ans, elle s’est recréé de toute pièce et de manière de plus en plus réelle un univers qui lui convient, loin de celui duquel elle est extraite et qui était potentiellement trop restrictif. Naomie, c’était un rond dans un monde de carrés avant de rencontrer le cosplay. Cela lui a permis d’élargir, petit à petit, sa zone de confort par rapport à ses envies vestimentaires – notons que le vêtement reste aussi la couche de soi qui nous qualifie et que nous voulons bien donner à voir aux autres -, plutôt que d’essayer d’en sortir. De fait, c’est plus facile à court et à long terme… et moins dangereux psychiquement. Cette ressource est essentielle, elle l’a reconnue de suite et a décidé, très jeune, d’ancrer durablement dans son existence ce qui semble un constituant identitaire.
Je recroise alors l’équipe de Gamergen.com. Bon, ils ont une conversation de geeks, il faut que je me barre vite fait. « Comment vas-tu la psy ? Tu survis ? » « Plus que ça, je m’éclate ! ». Intellectuellement le matériel est magique, l’environnement est riche, stimulant, mon prochain voyage sera certainement le Japon. Je veux en savoir plus, j’y retourne…
Quand je croise Luna Dole, elle incarne dans la pleine lumière du salon son personnage. Elle prend des poses aussi sensuelles qu’innocentes. Elle attire les regards, je l’interpelle. Demain, elle sera quelqu’un d’autre, une mariée féérique. Luna Dole est un personnage haut en couleur, elle travaille dans un cirque, elle est joyeuse, mais elle a une double facette plus structurée, plus travailleuse et sérieuse. L’identification porte sur cette dualité. Le côté artistique est très présent chez Noamie, mais elle aimerait être plus sérieuse, plus carrée notamment pour ce qui concerne son travail. Tous ses personnages sont le reflet de ce côté sexy chic qu’elle ne peut laisser vivre en dehors de l’espace cosplay. Elle devient alors une caricature d’elle-même, elle exacerbe, donne à voir… Tout pourrait pousser à croire que plus rien n’est contenu et que la personnalité explose, mais dans les faits, tout est contrôlé, le moindre morceau de tissu, le moindre geste. La psy est un peu perdue, ne sait plus devant quel type de structure névrotique elle est. D’un côté, il y a l’hystérie de celle qui donne à voir dans l’exacerbation et d’un autre, un côté contrôlant obsessionnel dans la manière de créer ces personnages. Qui est-elle cette lolita ? Après dix minutes de réflexion, je décide de passer à autre chose parce que finalement est-ce important ? Elle va bien cette jeune fille. Son entourage, ses amis, qu’ils soient ou non depuis longtemps dans son paysage, sont « dans le même délire ». Elle aimerait que le cosplay, même s’il s’agit d’un art très récent, soit respecté, que l’on arrête de le dénaturer et de faire passer les cosplayers « pour ce qu’ils ne sont pas ».
Si le Monde devait enfin reconnaître la dimension artistique du cosplay, ce serait la réhabiliter, elle, et tout ce qu’elle est dans une société qui a parfois bien du mal à reconnaître, dans sa créativité, la projection artistique de sa propre identité.
Amandine a 18 ans, elle aborde le sourire du Joker, la rencontrer est confrontant – voire presque angoissant –, de fait, je m’accroche à ma propre névrose. Elle porte un masque, mais à même la peau, son maléfique plus qu’énigmatique visage m’attire, il y a de la douceur derrière ce masque, quelque chose d’ambivalent. Lorsque je l’aperçois, elle fait patiemment la file pour accéder à une séance de dédicace de son auteur de manga préféré. Cela fait des mois qu’elle attend ce moment. Elle vit à Lille, et est venue entre amies. Elle regrette qu’il n’y ait pas de grosses conventions dans le nord de la France. Pour elle, le cosplay est un art, ses costumes elle les pense et les fabrique. Il y a quelque chose d’identificatoire derrière la douceur qu’elle renvoie. En parlant avec elle, j'ai un sentiment étrange comme si les personnages, celui qu’elle incarne et celle qu’elle est dans la vie, se croisaient à ce moment précis. Comme si le rendez-vous était prévu. Le très étrange Joker au sourire troublant rejoint la douce Amandine au sourire sincère, mais un peu trop effacé. La psy que je suis est troublée, il y a une double face, une double personnalité, équilibrée. Rien de pathologique derrière le discours, un regard franc et une position affirmée viennent étayer l’hypothèse selon laquelle, quelle que soit la structure de fonctionnement psychique que j’ai face à moi, tout est une question d’équilibre. Le message que m’envoie Amandine pourrait être celui de personnes trouvant dans cette extériorisation, et cet espace-temps de la convention, une forme de soupape sécuritaire où vivre cet autre soi, dans un cadre autorisé et dans cet accueil bienveillant, va permettre de mieux exister dans ce qu’établi à l’extérieur par les règles de la société.
Commenter 5 commentaires
Super article ! Original ! Ecrit a la perfection !
Cette expérience de la psy qui rencontrent des gens différent est super intéressante. Très bon choix d'avoir opter pour le model de carnet de note. Elle s'exprime si bien que j'avais l'impression d'être sur son épaule et d'assister à cette visite fantastique ^^
Cette vision des personnes fragmentés et cette envie de les connaitre, ces sensations d'inconnu et de découverte, tout ça, c'est beau.
Encore un grand merci pour ce dossier
J'avais peur que ça tombe dans une sorte de caricature mais que nenni, a refaire pour pousser la chose un peu plus loin encore !
(sinon la tête que fait "la psy" sur les selfies et les implications psychologiques de ces expressions on en parle ?? )
Instructif et original, approche sincère et positive qui donne envie de connaitre les réponses acquises au fil des rencontres
J'ai adoré l'article, le questionnement effectué et les résultats obtenues pertinentes,
vivement d'autres articles ou dossiers de ce genre