Quand Danny Boyle, génial réalisateur, met en scène un script d'Aaron Sorkin, génial scénariste, sur Steve Jobs, génial CEO d'Apple...
Après le piètre Jobs, Aaron Sorkin, génial scénariste de The Social Network, qui traitait de la création de Facebook, s'est mis en tête d'écrire un biopic sur Steve Jobs, figure emblématique et charismatique du géant Apple, d'après la biographie signée Walter Isaacson. Pas une mince affaire en soi, mais qu'il réussit avec brio dans Steve Jobs, réalisé par Danny Boyle (Trainspotting, La Plage, Sunshine). Dans la lignée de The Social Network, à qui il ressemble autant qu'il s'en détache, le film porté par Michael Fassbender est bien plus qu'un biopic : c'est un récit noir, découpé en trois actes comme une pièce de théâtre, mettant en lumière la nécessaire solitude du génie au travers du lancement de trois produits ayant émaillé la vie de Jobs (le Macintosh, le NeXT Cube et l'iMac).
Le film est brillant. Comme celui qui lui prête son nom.
En ne choisissant que trois dates, correspondant à deux échecs et un succès retentissant, Aaron Sorkin a compris que les coulisses en disaient plus que l'œuvre elle-même. D’autiste illuminé aux dents longues n’ayant que le mot révolution à la bouche à gourou n'ayant pas peur d'être détesté par ses pairs pour être adulé de tous, en passant par la figure paternelle qu'il a longtemps refusé d'être, Steve Jobs a droit à un portrait ni très blanc, ni trop noir. Le but n'est pas d'aduler ou de condamner le CEO d'Apple mais de montrer un homme incarnant ses ambitions, en avance sur son temps et persuadé qu'il doit aller au bout pour donner aux autres ce qu'ils veulent vraiment. Cette solitude du génie, Michael Fassbender l'interprète avec une justesse inouïe, tour à tour dur, tyrannique, sensible, incompris, fragile, sans jamais tomber dans le mimétisme facile ou la caricature. Il est épaulé d'un casting impeccable pour donner la réplique, avec une mention spéciale à Kate Winslet, délicieuse Joanna Hoffman, la femme derrière le grand homme.
Alors, bien sûr, la profonde richesse d'un script ne serait rien sans la maestria de la mise en scène. Mais Danny Boyle est le génie se cachant derrière le génie. Il aurait pu se ranger derrière son sujet, il a préféré le transcender avec des effets de montage à même de défier la notion du temps, sans jamais perdre quiconque. Il a aussi parfaitement épousé la bande originale signée Daniel Pemberton, s'amusant de chaque confrontation verbale entre Steve Jobs et ses proches, qu'ils soient amis, actionnaires ou enfants. En ressort vite une évidence : les génies ont ceci de fascinant et détestable que tout le monde finira toujours par les idolâtrer, qu’importe leur personnalité, qu’importe les sacrifices parfois sociaux qu'ils sont prêts à consentir pour transformer leurs convictions en réalité.
À l'instar du Mark Zuckerberg de The Social Network, le Steve Jobs de Steve Jobs est montré comme un chef d'orchestre brillant et impitoyable. Celui qui se concentre sur les notes à venir sans regarder celles déjà jouées, car il n'est pas possible d'y revenir. Celui qui a révolutionné le monde à sa manière, avec audace, bravant la technologie et ses équipes coûte que coûte. Vous n'y verrez pas sa naissance, mais la naissance d'un homme exceptionnel. Vous n'y verrez pas sa mort, mais la mort de certaines de ses idées ou de ses relations aux autres. Le biopic apparaîtra sans nul doute incomplet, mais le film, lui, est brillant. Comme celui qui lui prête son nom.
Note : 5 sur 5