GamerGen étale sa culture #05 - Pourquoi .5: The Gray Chapter de Slipknot est l'album de l'année 2014 ?
par Maxime ClaudelIl est temps de parler musique.
Gamergen étale sa culture, c'est votre rendez-vous du week-end pour réagir à froid sur l'actualité "artistique" récente ou donner nos bons et mauvais points sur des œuvres marquantes. En plus de l’actualité régulière, nous vous proposerons donc régulièrement un billet culturel pour sortir un peu du monde du jeu vidéo. Chaque rédacteur participant à cette rubrique pourra apporter sa touche personnelle à celle-ci, pour balayer des sujets comme le cinéma, les séries, la littérature, la musique, le dessin… Bien évidemment, nous n’avons pas le monopole de la culture, alors libre à vous d’exprimer votre approbation ou votre aversion pour les thématiques évoquées, ou de nous partager vos coups de cœur du moment dans les commentaires.
Le 24 mai 2010, la planète métal s'est arrêtée, une immense pointe au cœur, le souffle coupé par les jours sombres qui s'annonçaient. Et, surtout, elle a beaucoup pleuré la disparition tragique de Paul Gray, bassiste et parolier de Slipknot, l'un des groupes les plus emblématiques de la fin des années 90, composé de neuf membres allumés et originaire de l'Iowa. Le lendemain, les orphelins, qui n'avaient pas encore abandonné leurs larmes, donnaient une conférence. Elle n'a duré que 8 minutes. "Il était le meilleur d'entre nous" résume Corey Taylor, "leader" rouquin un peu diva sur les bords, sous-entendant que Slipknot a perdu un ange qui a laissé ses démons derrière lui. "Amour" serait le mot qui qualifierait le mieux celui qui n'aura jamais eu le temps de connaître sa fille, celui, en outre, qui était là depuis le début, mort à cause d'une surdose accidentelle de morphine. Pour ainsi dire, personne n'imaginait le collectif s'en remettre, sinon s'en relever, musicalement. D'autant qu'une autre mauvaise nouvelle, aux yeux des fans, est tombée quelques mois plus tard : Joey Jordison, batteur et aussi, mais surtout, autre star du groupe, "quittait" Slipknot pour des raisons encore obscures aujourd'hui. Voilà donc le groupe amputé de deux piliers, paradoxalement 4 ans après le quatrième album, intitulé All Hope Is Gone. Il n'y a jamais de hasard…
Mais Slipknot, qui sortait d'une tournée, ne voulait pas en finir là. Il y avait encore trop de choses à raconter, surtout suite au décès de Paul Gray, dont le portrait sera à jamais immortalisé sur le mollet de Corey Taylor. Le cinquième opus s'intitule .5: The Gray Chapter. Tout de suite, le ton est donné : l'hommage est explicite et il n'est pas question d'oublier un frère comme ça. Dans le même temps, six ans se sont écoulés depuis l'excellent All Hope is Gone, et les fans rongent leur frein. Le premier extrait, The Negative One, rassure : Slipknot n'a rien perdu de sa violence et on se croirait presque revenu au temps d'Iowa (leur second album, ndlr). Puis vient The Devil In I, sans conteste le tube du disque, le morceau le plus "commercial" (terme qui ne veut strictement rien dire, mais que tout le monde adore employer), mis en exergue dans un clip sanguinolent en forme de slasher. Dans ce dernier, il n'est d'ailleurs pas question de mettre en avant l'identité des remplaçants de Paul Gray et Joey Jordison, à savoir Alessandro Venturella (reconnaissable grâce à ses tatouages) et le jeune Jay Weinberg (fils du batteur de Bruce Springsteen). Ils n'ont même jamais été officialisés et ne le seront probablement jamais par pur respect.
"I don't want to get back up" ("Je ne veux pas me relever", ndlr), voilà les premières paroles de .5: The Gray Chapter, dans l'intro XIX, signe que le deuil n'est pas encore tout à fait digéré, avant qu'un "But I have to" ("Mais je le dois", ndlr) ne vienne nous ramener à la dure réalité de la cicatrice qui se doit d'être refermée, coûte que coûte. C'est là où Sarcastrophe enchaîne, d'abord par une deuxième intro, puis par un riff lourd, qui va crescendo jusqu'au moment où Corey Taylor assène un cri comme à ses meilleures années. Slipknot redevient Slipknot, avec sa musicalité lourde, ses refrains puissants, sa batterie qui résonne et son atmosphère proche d'un horror movie, renforcée par une iconographie toujours présente. AOV, assurément le meilleur morceau de l'album, en est une confirmation, bien que nous y retrouvions des passages un peu plus mélodieux, nourris par des voix claires. Comme si .5: The Gray Chapter assurait aussi bien un retour aux sources, tout en jouant sur la continuité des évolutions depuis Slipknot, le premier bébé.
Passé le tube The Devil in I et l'entêtant Killpop, il est temps d'honorer la mémoire de Paul Gray, avec un triptyque composé de Skeptic, Lech et, plus explicitement, Goodbye. ”The World will never see another crazy motherfucker like you” ("Le Monde ne verra plus jamais un type comme toi") chante Corey Taylor dans Skeptic, avant d’enchaîner sur un ”I won’t let you disappear - I will keep your soul alive if I can’t have you here” ("Je ne te laisserai pas disparaître - je garderai ton âme en vie si je ne peux pas t'avoir ici"). Lech, pour sa part, crache des ”No one is bulletproof” ("Personne n'est invincible") et un ”Nine for sure” ("Neuf à jamais") puis se calme, le temps de reprendre son souffle avec Goodbye ("So the last thing on Earth I am ready to do is say goodbye” - "La dernière chose que je suis prêt à faire sur Terre est de dire au revoir"). Enfin, Corey Taylor se pose d’ultimes questions dans If Rain Is What You Want (”Can we face it ?”, ”Can we really die ?”). Difficile de ne pas y voir une analogie entre les larmes et la pluie. Comme le dit si bien Rutger Hauer dans le culte Blade Runner, ”All those moments will be lost in time, like tears in rain” ("Tous ces moments se perdront avec le temps, comme les larmes dans la pluie").
.5: The Gray Chapter est à la fois beau, par le formidable et nécessaire hommage qui se cache derrière, et puissant, grâce au son de Slipknot, qui n'a rien perdu de sa superbe (même si les aficionados regretteront toujours les deux premiers disques) malgré l'amputation de deux de ses membres. Pour preuve, les lecteurs du magazine Hammer l'ont élu "meilleur album de l'année 2014", tandis que ceux de Total Guitar ont consacré The Negative One dans la catégorie "best riff". Derrière les souvenirs, la musique est bien là. Les cauchemars sont toujours ancrés dans la réalité.
Le clip de The Devil In I (âmes sensibles s'abstenir)