DOSSIER - Les risques de la réalité virtuelle pour les enfants : entre VRaies et fausses Réalités
par Eric de BrocartLa réalité virtuelle est globalement déconseillée aux enfants de moins de 13 ans, ou de douze pour Sony. Avertissement de principe ou réel risque pour la santé physique ou psychologique ?
Elle rendrait fou, violent, dépressif ou addict. Chez les enfants, elle serait à proscrire pour certains et, d’un autre côté, nous lisons que le système éducatif pourrait à terme l’utiliser de manière récurrente comme support pédagogique. Là, où il y a encore peu, elle faisait sourire et était traitée comme un effet de mode, aujourd’hui elle s’impose comme l’outil high-tech de demain. Chez les fabriquants, le concensus sur l'âge minimum n'existe pas vraiment et si, chez Sony, il est placé à 12 ans, chez les autres, il est fixé à 13. Mais pourquoi l’utilisation de la Réalité Virtuelle par nos enfants inquiète-t-elle autant ? Prenons le temps de regarder à travers le masque…
La réalisation de la distinction entre le réel et le fictif ne pourrait se faire qu’à partir de 7 ans et ne serait jamais vraiment obtenu avant 12 ans.
S’il y a bien une chose dont nous sommes certains, c’est que nous ne sommes sûrs de rien ! Voilà qui nous désengage bien de toute implication par rapport à cette question du danger que pourrait constituer la VR et nous pourrions en rester là. Dans les faits, nous manquons de recul, au moins autant que de données, pour permettre des études longitudinales, et évaluer de manière objective quelles sont les conséquences physiologiques et psychologiques d’une utilisation – prolongée ou non – de la Réalité Virtuelle. Nous pouvons, malgré tout, nous appuyer sur quelques certitudes pour étayer l’hypothèse selon laquelle cette utilisation ne serait pas sans risque, et que ce risque-là est bien accentué pour les plus jeunes.
Ce que les psychologues mettent en avant chez les plus fragiles, c’est la porosité des limites que la construction psychique sous-tend entre le dedans et le dehors, entre le vrai et le faux, et donc - plus indirectement - entre le réel et le virtuel. En d’autres termes, la frontière entre des deux pôles pourrait être chez certains plus perméables que chez d’autres, et plus encore chez les plus jeunes sujets en pleine construction psychique. Ainsi, la réalisation de la distinction entre le réel et le fictif ne pourrait se faire qu’à partir de 7 ans et ne serait jamais vraiment obtenu avant 12 ans. Avant, il est difficile de distinguer le vrai du fictif. L’homme a besoin pourtant de prendre en compte l’imaginaire, car il a pour fonction de mettre à distance les réalités trop difficilement appréhendables pour la jeune réalité psychique. Les contes de fées, les histoires racontées le soir et les dessins animés servent à cela. Les jeux aussi, d’ailleurs, contribuent à cette construction, car c’est grâce à eux que nous pouvons appréhender les règles et développer fonctionnement social et libre arbitre. L’imaginaire pour rendre plus supportable la réalité donc, et pas l’inverse. Or dans la VR, nous nous servons de la virtualité pour mettre en place une nouvelle forme de réalité, la rendre plus proche, plus optimale, plus puissante, plus accessible et les formes de réalités augmentées et les technologies à venir vont venir renforcer le phénomène.
Deux raisons psychologiques, donc, nous feraient proscrire la réalité virtuelle au moins de 13 ans : la première est la nécessaire construction psychique qui repose sur une frontière bien définie entre le réel et le virtuel, entre le dedans et le dehors, sous peine de voir, plus tard, se développer des états psychopathologiques entre bouffées délirantes et vécus paranoïdes, et pouvant aller, dans les cas plus extrêmes, jusqu’au développement d’une symptomatologie psychotique. La seconde est la juste et nécessaire place de l’imaginaire qui doit le rester et non devenir une nouvelle forme de réalité idéalisée. Dans cette mesure accordons un peu de crédit au PEGI qui saura nous dire, avec toute la bienveillance que nous lui reconnaissons, si un jeu est adapté ou non à la formalité psychique des plus jeunes.
Une autre question, qui est communément posée et dont la réponse peut être encore en lien avec cette question de maturité corticale et psychique face à la bonne délimitation entre le réel et l’imaginaire, est celle de la violence que la réalité virtuelle pourrait générer. Donc non, donnons un bon uppercut à cette idée reçue, pas plus que le jeu vidéo, la réalité virtuelle n’est une fabrique de futurs pervers et autres sociopathes en tout genre. Cela dit, comme nous en parlions dans un précédent article sur le sujet, la difficulté réside peut-être en cela que la VR rend les choses plus proximales. La différence serait que quand un coup est porté, l’autre le « prend », mais surtout le donneur a le sentiment et le geste associé de le lui donner « pour de vrai ». Dans la VR, nous avons le gun en main, nous tapons vraiment et nous esquivons faussement pour de vrai. Nous ne sommes plus devant une extension symbolique plus ou moins phallique de toute puissance, nous devenons La toute puissance, nous l’incarnons ! Nous avons le contrôle sur l’arme, le geste, la puissance et un meilleur contrôle encore sur la possibilité d’atteindre sa cible, bien plus qu’avec une simple manette.
Une autre composante est l’accès plus proximal aux contenus anxiogènes. Dans certaines situations, c'est utilisé en vue d’exposition dans le cadre de thérapie. Nous parlons, dans ces cas là, d’habituation dans un espace contrôlé aux stimulations phobiques. Nous pouvons accompagner, par exemple, une personne qui a le vertige au bord d’une falaise, ou un agoraphobique dans le métro. Mais, dans un autre cadre d’utilisation, elle peut renvoyer directement à des angoisses plus latentes. Nous pourrions alors voir apparaitre des terrains anxieux, avec, dans le meilleur des cas, l’émergence de crises de panique chez les plus jeunes. Ces dernières, non dépistées et traitées, pourraient évoluer, force d’exposition continue, sous des formes phobiques une fois l’enfant devenu adulte.
Posons la question de l’enfermement dans la virtualité. Celle-ci, nous empêcherait au long cours de nous confronter à la réalité. Après tout, tout étant accessible depuis son salon, à quoi bon s’exposer à la vie, aux gens, à leurs dangers. Cela peut être aussi un moyen de se mettre transitoirement en rupture du Monde. Rien de bien grave, une fois encore, si nous apprenons à conserver notre nature humaine, en tant qu’être social et sociable. La réalité virtuelle, si elle a un rôle, devrait permettre de favoriser cela plus que de l’inhiber. A nous donc de donner de saines habitudes de consommation à nos enfants. Par rapport à la question de l’addiction, si elle devait exister, cette dernière serait à interroger du côté de sa version « symptôme ». A quoi sert cette addiction si elle se développe surtout chez les plus jeunes : une rupture d’avec l’environnement familial ? Une rupture d’avec la scolarité ? Un fonctionnement plus facile que dans la réalité ? Une plus biochimique activation du circuit du plaisir et de la satisfaction immédiate ? Puis, à symptôme égal, sommes-nous devant un véritable problème de dépendance ou n’y-a-t-il pas, derrière une consommation excessive, d’autres difficultés que l’enfant et parfois les familles qui encouragent laissent faire ?
Les autres inquiétudes en lien avec l’utilisation de la VR chez les plus jeunes, ce sont les ophtalmologistes qui viennent les poser. Les masques aujourd’hui ne sont absolument pas adaptés à la vue de nos enfants, et même s’ils prétendaient pouvoir l’être, cela ne serait que pour un instant très court et seraient très vite de nouveau inadaptés. L’œil est le seul organe qui ne grandit pas, mais nous ne pouvons pas en dire autant de l’espacement oculaire. Ce dernier n’est pas entièrement défini chez les plus jeunes et nous estimons qu’il ne sera jamais définitif avant les 13 ans. Avant cela donc dans un masque de VR les images paraitront plus ou moins floues. L’habituation à une mauvaise vision va durablement détériorer les aptitudes visuelles de l’enfant avec dans un premier temps le développement de fatigues et migraines oculaires, myopies et possibles difficultés stéréopsiques (problèmes en lien avec la vision en 3D en théorie en fin de développement aux 7 ans de l’enfant) pour les conséquences les plus lourdes.
Plus surprenant encore, nous pourrions voir apparaitre chez les tous petits exposés des troubles importants de l’équilibre. Ces pertes ne sont pas seulement transitoires, elles s’inscrivent au long court, posent des difficultés de la gestion du corps dans l’espace, impactent la proprioception et la bonne organisation visuo-spatiale. Enfin, si le mal de mer avec les avancées technologiques tant à disparaitre, les enfants plus que les adultes sont sujets au « motion sickness », les petits pieds marins n’ont donc qu’à bien se tenir !
Et puis un dernier détail, les enfants ayant une plus mauvaise représentation de l’espace que les adultes le risque d’accident domestique est plus grand, attention aux coins de tables et donc accessoirement… aux fenêtres ouvertes !