GreedFall : À l’époque des grandes découvertes, GreedFall est une belle trouvaille, mais pas l’Eldorado.
Pour l’amour des tricornes
Voilà quelque chose de peu commun de voir une aventure démarrer à l’ère de la Renaissance et des grands explorateurs. Et bien que le thème nous rappelle forcément notre propre histoire, il y a de cela quelques siècles, c’est sur l’île mystique de Teer Fradee que commence votre séjour en tant que légat de la Congrégation des marchands. Une redite de l’Europe du XVIIème siècle qui ne reste pas longtemps ancrée dans l’aspect historique puisque l’univers fantasy de l’île rattrape rapidement notre héros (ou héroïne, au choix). En témoigne cet affrontement dantesque dès les premières minutes de jeu qui vous confronte à une créature grosse comme le bateau qu’elle éventre pour se libérer. Pourquoi vous bassiner avec le contexte et l’univers nous direz-vous ? Et bien tout simplement parce que nous avons décidé d’évoquer ce qui est de loin le plus satisfaisant dans GreedFall, à savoir l’immersion. Vu les défauts du jeu, sur lesquels nous revenons quelques lignes plus bas, le terme est à prendre avec des pincettes. Toujours est-il que les Français du studio Spiders Games ont trouvé la bonne méthode pour véhiculer une ambiance et nous faire accrocher à son univers qui aurait pu être un mariage malheureux.
Cette modestie n’a pas empêché Spiders de livrer sa meilleure prestation
Ca commence forcément avec une direction artistique de haute volée. Ni les développeurs, ni l’éditeur Focus Home Interactive n’ont le budget pour faire de GreedFall une grosse production. Cette modestie n’a pas empêché Spiders de livrer sa meilleure prestation dans ce domaine, rivalisant même avec des triple A. L’écriture y est ici pour beaucoup, tout comme les musiques d’Olivier Derivière qui collent parfaitement au jeu.
Le scénario aurait pu se reposer sur les poncifs du RPG et de la fantasy. Il n’en a heureusement rien été, à la place nous avons pu découvrir un récit politique d’une efficacité redoutable faisant, là aussi, la parabole avec la découverte du Nouveau Monde. Il est question de guerres, du traitement des insulaires natifs, de la maladie, de la famille… autant de thèmes forts qui se déclinent dans une harmonie de gris clair plutôt que d’opter pour un noir et blanc très manichéen. Comme beaucoup de choses dans GreedFall, la qualité de l’histoire s’avère inégale par moments, mais la manière d’amener la trame principale ainsi que les voix-off servent parfaitement un RPG que nous apprécions plus pour ce qu’il a à nous dire au cours des 30 à 35 heures de jeu qui composent l’aventure, plutôt que pour sa manière de le faire.
Un RPG presque parfait
Dès lors que nous sortons le nez de la mise en scène séduisante et que nous arrêtons de prendre GreedFall pour un Game of Thrones du temps de Christophe Colomb, il faut composer avec un RPG qui souffle le chaud et le froid. Bon candidat quand il s’agit de la construction des quêtes, le titre n’en perd pas moins des plumes quand il s’agit de finition. Le meilleur, il l’emprunte par ailleurs aux cadors du genre. GreedFall se paye par exemple le luxe d’avoir plusieurs manières de résoudre un même problème. Nous ne parlons pas seulement d’une confrontation violente ou furtive, le panel des possibilités est bien plus large que cela. Ces choix dépendent surtout du développement de votre personnage et de votre engagement personnel puisque c’est généralement votre réputation auprès des différentes factions du titre qui est en jeu. Des factions qui peuvent vous soutenir dans votre quête ou à l’inverse vous mettre des bâtons dans les roues, mais qui sont dans tous les cas en guerre les unes avec les autres. Impossible de rendre tout le monde heureux dans GreedFall, voilà qui donne à votre aventure une bonne dose d’enjeu et une touche de diplomatie par laquelle il faudra nécessairement passer. Deux choses qui ne font que renforcer notre amour pour son background et qui nous laissent penser que les développeurs ne sont pas loin de la formule idéale pour un RPG.
Il faut composer avec un RPG qui souffle le chaud et le froid
Sur cette base forte qui nous tient en haleine viennent se greffer plusieurs problèmes fâcheux, ceux-là même qui nous empêchent de parler d’immersion. Commençons simplement par fustiger le côté autoritaire de nos objectifs. Là où GreedFall nous séduit par sa liberté d’approche digne d’un Divinity: Original Sin, il se tire une balle dans le pied dans la foulée en nous indiquant avec précision tout ce qu’il nous faut réaliser. Peut-être que le studio Spiders avait peur de nous perdre en nous laissant chercher, mais pour le coup c’est l’effet inverse qui se produit. Le joueur se retrouve alors materné, incapable de vivre sa propre aventure.
Les créateurs ont bien droit au bénéfice du doute, après tout cela partait peut-être d’une bonne intention. Difficile cependant de justifier le grief concernant le manque d’impact des choix. Si de manière générale nous n'avons notre mot à dire sur l’histoire, ce qui est déjà dommage en soi, toutes nos décisions semblent mener à la même conclusion. Vous avez raté une tentative de persuasion et provoqué la rage de votre interlocuteur ? Dans le pire des cas, il vous faudra affronter ce PNJ avant de retourner dans le droit chemin imposé. Pas de bonne ou de mauvaise réponse en somme. Un constat qui sent bon la liberté en temps normal, mais qui passe ici pour une limitation qui n’invite pas davantage le joueur à se prendre au jeu.
C’est en progressant suffisamment dans l’histoire que nous réalisons que GreedFall fait les montagnes russes avec ses qualités de RPG. Souvent magnifiquement orchestré autour d’une quête deluxe qui donne l’impression que notre protagoniste va sauver le monde, le titre nous rappelle trop souvent que nous pouvons aussi servir de simple coursier. L’utilisation des quêtes Fedex, heureusement simplifiées par un système de voyage rapide, finit par se faire ressentir dans le rythme du jeu. Nous aurions aimé vous dire que ce défaut ne s’applique qu’aux missions annexes, mais force est de constater que même la trame principale a recours à ce procédé peu flatteur et à d’autres ficelles usées à force d’être réutilisées.
Régulier dans l’irrégularité
Maintenant que vous avez compris le principe, vous ne serez sans doute pas étonnés d’apprendre que les combats répondent aux mêmes déséquilibres que le reste du jeu. Nous partons sur des batailles dynamiques qui fonctionnent bien dans un premier temps. Même contre des bandits de base, les combats s’avèrent haletants, car exigeants et punitifs. Le système repose en effet sur des esquives et des parades bien senties, le tout agrémenté d’une pause tactique. Un ajout des plus sympathiques compte tenu du bazar que peuvent être certaines bastons. Si nous reconnaissons que la jouabilité est avant tout technique et demande un peu de temps avant d’être maîtrisée, elle n’en reste pas moins limitée. Même en débloquant de nouvelles compétences via l’arbre de talents, GreedFall fait vite le tour de ce qu’il a à nous montrer. Impossible dès lors de ne pas trouver les combats redondants ou à minima de ne pas souhaiter un approfondissement des mécaniques, qui ne reposent pour l’instant que sur la difficulté des joueurs à appréhender la maniabilité.
Le bilan de GreedFall reste positif avec une belle marge d’erreur pour progresser
Autre registre, mais même dents de scie, concernant les performances techniques. GreedFall nous avait habitués jusque-là à de belles qualités ponctuées de petits défauts, mais dans le cas présent c’est exactement l’inverse. Quelques fulgurances parviennent à nous faire oublier les dizaines d’heures passées devant des animations faciales pas toujours jolies à regarder et des effets qui ne sont pas de la première fraîcheur. C’est principalement dans la mise en valeur des environnements extérieurs que le jeu parvient à surprendre. Si nous tenons compte du fait que GreedFall est une humble production, c’est finalement mieux que ce que nous étions en droit d’attendre.
De quoi accorder l’absolution au titre de Spiders sans doute, et reconnaître que GreedFall est de loin ce que le studio a réalisé de meilleur à ce jour. Certes, le titre n’est qu’une succession de moments de grâce et de faiblesse. Mais globalement s’il n’est pas le plus doué dans son genre, le bilan de GreedFall reste positif avec une belle marge d’erreur pour progresser d’ici la prochaine tentative des Français. Et puisque la conclusion se veut encourageante, autant finir sur la partie qui nous a le plus impressionnés : son univers marquant où tricorne, politique et terres mystiques se côtoient pour donner un pot-pourri qui nous enivre avec son parfum unique.
- Sa direction artistique
- Les thèmes puissants
- Le potentiel des quêtes
- Les combats intenses…
- Des fulgurances techniques…
- Belle écriture
- Liberté d'approche
- Bande-son et doublage
- Inégal dans pratiquement tous les domaines
- Sentiment de liberté bridé
- Choix finalement peu importants
- ...mais qui tournent vite en rond
- ...qui masquent des performances datées
- Quête Fedex en guise de cache-misère