GamerGen étale sa culture #04 - Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées, ou comment assommer une licence en un épisode
par Auxance M.Chronique d'un raté annoncé.
GamerGen étale sa culture, c'est votre rendez-vous du week-end pour réagir à froid sur l'actualité "artistique" récente ou donner nos bons et mauvais points sur des œuvres marquantes. En plus de l’actualité régulière, nous vous proposerons donc régulièrement un billet culturel pour sortir un peu du monde du jeu vidéo. Chaque rédacteur participant à cette rubrique pourra apporter sa touche personnelle à celle-ci, pour balayer des sujets comme le cinéma, les séries, la littérature, la musique, le dessin… Bien évidemment, nous n’avons pas le monopole de la culture, alors libre à vous d’exprimer votre approbation ou votre aversion pour les thématiques évoquées, ou de nous partager vos coups de cœur du moment dans les commentaires.
Autant le dire d'entrée, je suis un grand fan du Seigneur des Anneaux. Pas un fan absolu et incollable, mais un grand fan, qui a autant apprécié la trilogie de Peter Jackson en version longue à plusieurs reprises que les livres de Tolkien, chacun des médias offrant finalement une tonalité bien différente à l'histoire. Pour Le Hobbit, je n'en connaissais qu'une version bande-dessinée, qui ne m'a pas spécialement marqué, mais qui m'a tout de même permis de comprendre et retenir l'histoire de Bilbon. Cependant, j'étais déjà persuadé que cette aventure, écrite par Tolkien avant LSDA, n'égalait pas son successeur, et relevait davantage du conte pour enfant que de l'épopée. Je comptais malgré tout sur Peter Jackson pour me faire mentir et m'en mettre plein les yeux avec son Hobbit, lui qui avait déjà réussi à offrir un nouveau visage à l'histoire de Frodon.
Dès Le Hobbit : Un Voyage Inattendu, il y a comme quelque chose qui ne va pas. J'ai encore du mal à identifier ce qui ne me plaît pas dans ce film, mais il s'agit probablement des mêmes codes qui me dérangent en général dans cette trilogie : trop de personnages à l'écran dont la personnalité ne peut jamais être développée, les touches d'humour grasses et forcées qui empêche la tonalité épique de s'installer, et une impression de "déjà-vu".
La compagnie des nains, avec ses treize membres, auxquels il est difficile d'associer un nom et une image, ne peut en effet rivaliser avec la communauté de l'anneau, composée de protagonistes à la personnalité, à l'origine et au phrasé différent. Le casting perd donc clairement de son charme, dès le départ. De même pour l'humour, potache et enfantin, qui n'a pas sa place dans un tel conte épique. Pour l'impression de "déjà-vu", elle vient probablement du postulat de base : adapter un roman rédigé avant l'œuvre culte qu'est Le Seigneur des Anneaux, et dont les ressorts scénaristiques ont déjà été sublimés et renforcés par la "première trilogie", tient presque de l'impossible. Le Hobbit a beau être une aventure à part entière, il fait pour moi presque office de prologue, de brouillon à la quête de Frodon. Alors comment profiter de la mise en bouche après avoir déjà apprécié le repas en long et en large ?
Cependant, La Désolation du Smaug ne m'a pas autant dérangemé qu'Un Voyage Inattendu. La pilule des nains comiques est avalée, je suis préparé à les retrouver. Le rapport avec les elfes, le rapprochement avec Smaug, les scènes d'action "épicomiques" plutôt amusantes une fois l'esprit de cette trilogie accepté, la rencontre avec le peuple de Lacville... : les situations sont originales, les relations inédites, la sauce me sied davantage. C'est donc sans l'excitation avec laquelle je suis allé voir Le Retour du Roi, mais tout de même avec curiosité et intérêt que j'ai vu La Bataille des Cinq Armées. Et là, c'est le drame.
Quelques spoilers ont été glissés dans le texte ci-dessous, si vous n'avez pas encore vu La Bataille des Cinq Armées, nous vous conseillons de passer votre chemin.
Dès le départ, il est difficile de rentrer dans le film. La Désolation de Smaug nous avait laissé sur un cliffhanger inutile, tant l'issu dramatique de l'échappée du dragon est évidente, même pour ceux qui n'ont pas connaissance du scénario. Un long-métrage qui débute par un jeu de massacre dont le retournement (l'histoire de la flèche et de l'écaille manquante) est si gros qu'il fait peine à voir, surtout quand cette scène aurait eu beaucoup plus de sens au terme du deuxième volet. Le découpage, c'est un autre problème de cette trilogie, qui fonctionne sûrement bien mieux en étant vue d'une traite. Le drame, qui a quand même détruit un village, est d'ailleurs très vite oublié, notamment "grâce" à un personnage comique totalement insupportable et hors-sujet. Pourquoi avoir inclus un être aussi imbuvable dans un récit du genre ?
L'histoire des nains piégés dans la montagne est elle liée au nain Thorin, dont la folie naissante est difficile à comprendre, tout comme le comportement de Bilbon et de ses compagnons à son égard. Quelques pérégrinations plus tard, la bataille pour l'occupation de la montagne fait rage, avec une redistribution des alliances rapidement expédiée, qui fait perdre de son sens toutes les discussions géopolitiques passées. L'Arkenstone, désiré par le plus grand nombre au départ, est lui aussi très vite oublié, là où beaucoup étaient prêts à vendre père et mère pour l'obtenir à la base. Fini l'action "épicomique", ici, le drame et les morts s'entassent sans larme, entre deux illuminations humoristiques qui n'apportent vraiment rien au schmilblick. Et ça bastonne, et ça déclare sa flamme sans que nous n'ayons vraiment eu connaissance du rapport entre les personnages...
Certes, la réalisation est toujours au poil, les affrontements entre êtres fantastiques fonctionnent toujours autant à l'image, mais l'affection portée aux protagonistes et aux camps n'est pas comparable à celle que je vouais aux personnages, installés, de LSDA. L'affrontement final a beau être épique, il n'est pas près de me faire lâcher la petite larme qu'il semblait vouloir me tirer. Quant au récit de Gandalf et Radagast, il est surtout fait de non-dits et d'actions figuratives plus qu'explicatives, mais permet tout de même d'apporter sa pierre à la compréhension de l'univers. La conclusion de cette trilogie est elle un simple clin d'œil à la "suite", tout juste capable de nous déclencher un petit sourire en coin, en souvenir du plaisir eprouvé par les aventures qui s'en suivent.
Finalement, La Bataille des Cinq Armées condense tous les défauts de cette trilogie : surabondance de personnages sans saveur, personnalités et relations sous-exploitées ou mal exploitées, découpage maladroit entre épisodes et même entre scènes, faible dose d'humour qui suffit néanmoins à mettre mal à l'aise pendant de longues minutes, références "forcées" à LSDA, et surtout, fortes ressemblances involontaires, mais évidentes à ce dernier ... Heureusement, la réalisation est toujours au poil, et suffit à faire passer un bon moment. Mais de la part d'une telle licence et de Peter Jackson, je m'attendais à bien plus que ce "divertissement".