Triangle Strategy : Nous avons livré bataille pour assurer l'avenir de la Maison Wolffort et faire prévaloir notre justice, il est temps de voir si cela en valait la peine.
Le sel de la terre
Square Enix et les jeux de rôle, c'est une histoire d'amour qui dure, avec d'un côté des productions se voulant graphiquement à la pointe et de l'autre des titres qui épousent une esthétique plus rétro, mêlant nostalgie et savoir-faire moderne. C'est cette deuxième case que vient cocher Triangle Strategy, le nouveau jeu du producteur Tomoya Asano à qui nous devons les Bravely Default, mais aussi les Octopath Traveler avec lesquels il partage cette même esthétique HD-2D que l'éditeur semble particulièrement affectionner, puisqu'il s'en sert également sur des remakes en cours de développement (Dragon Quest III, Live A Live). Après s'être attaqué au jeu de rôle au tour par tour, c'est désormais au Tactical RPG d'y passer, un genre touchant un public bien plus restreint et qui compte parmi ses gloires passées des jeux du calibre des Final Fantasy Tactics et Tactics Ogre: Let Us Cling Together. C'est d'ailleurs Artdink, qui avait sorti au Japon le portage PlayStation de ce dernier, que nous retrouvons au développement. Nous avons donc endossé le rôle de chef de guerre ces dernières semaines pour vous livrer notre avis sur cette œuvre, qui résonne fortement avec l'actualité en raison de ses thématiques.
Triangle Strategy est très bavard.
Le monde de Triangle Strategy se veut simple en apparence, nous propulsant sur le continent de Norzélia où sont établis trois royaumes dépeignant tout autant de types de gouvernance. Au nord, nous retrouvons le Duché d'Aesfrost, une méritocratie disant offrir la liberté à son peuple et disposant d'exploitations de fer sous son sol gelé, à l'inspiration slave certaine. À l'Est se situent les Terres sacrées d'Hyzante, en majeure partie arides, un état ecclésiastique prônant la paix et l'égalité de ceux qui suivent l'enseignement de la Déesse du sel. Dirigé par un Oracle et les Sept Saints, ce territoire d'inspiration orientale abrite le seul lac salé du continent, lui octroyant de ce fait le monopole sur cette denrée rare et essentielle. Enfin, le Royaume de Glenbrook est une monarchie tout ce qu'il y a de plus classique, avec trois familles vassales (les Wolffort, Teliores et Falkes) protégeant les terres du roi bordant le fleuve Norzélia, sur lesquelles transitent bien des marchandises.
Après la période sombre que fut la Grande Guerre du sel et du fer, c'est donc dans un cadre de paix tout relatif que débute notre aventure. Nous y incarnons le jeune Serenor Wolffort, futur héritier du domaine qui s'apprête à épouser la gracieuse Frédérica Aesfrost, une Norzélienne (peuple aux cheveux roses) se trouvant être la demi-sœur de l'actuel Intendant Gustadolv. Cette union politique, conjointement au projet d'exploitation d'une mine commune, vise à maintenir de bonnes relations entre les trois nations. Sauf que vous vous doutez bien que derrière ce tableau idéaliste se trament des manigances, car sans conflit nulle bataille stratégique à l'horizon... Ainsi, après avoir secouru et accueilli sa promise, puis pris part à des célébrations lors des premiers chapitres – le contenu de la démo, que nous avions couvert lors de notre preview -, les choses vont se gâter et le brasier de la guerre se raviver.
Nous n'en dirons pas beaucoup plus au sujet de la trame pour ne pas vous spoiler, mais sachez qu'elle est prenante, a droit à quelques fulgurances par moment et se laisse suivre avec grand plaisir et intérêt tout du long, du moins si comme nous vous appréciez les récits verbeux prenant le temps de poser chaque tenant et aboutissant. Car, oui, Triangle Strategy est très bavard avec de multiples et longues scènes d'exposition, un flot de textes à lire dans lequel se noient les batailles. L'histoire est ainsi découpée en chapitres, avec pour certains plusieurs actes, dont les évènements sont accessibles par l'intermédiaire de la carte du monde. Les nœuds rouges, obligatoires, nous font suivre à de rares exceptions près les discussions de Serenor et son groupe, tandis que les verts permettent de manière optionnelle d'assister à des scènes ayant lieu en parallèle, nous rendant donc légèrement omnipotent, sans toutefois nous dévoiler toutes les machinations en avance.
Faire pencher la balance
Outre ces « cinématiques », il arrive que nous puissions prendre le contrôle librement de notre personnage pour explorer un lieu (village, futur champ de bataille...) afin de discuter avec nos alliés ou les locaux. Ces investigations sont l'occasion de récupérer des richesses (monnaie, objets, équipement), des documents expliquant certains points du lore, de glaner des informations utiles et d'effectuer quelques choix de dialogue. En effet, notre jeune seigneur doit assumer ses Convictions (éthique, pragmatisme et liberté) qui se reflètent dans autant de réponses possibles, voire moins, certaines étant même parfois bloquées s'il nous manque une clé de compréhension. Le truc, c'est que ce système est fortement opaque, nous n'avons à aucun moment accès à ce qui se cache derrière. D'ailleurs, il semble que le simple fait de discuter avec un maximum de PNJ ou prendre part à de nombreuses batailles influe sur ces paramètres puisque la mention indiquant que les Convictions de Serenor se sont renforcées apparaît à ces moments-là.
Le poids de nos décisions se fait sentir, avec des dilemmes cornéliens.
De manière générale, ces phases de recherche accompagnent un vote auprès de la Balance des Convictions, un procédé totalement démocratique au cours duquel nos 7 principaux compagnons choisissent une option parmi celles proposées, avec tout de même un code couleur lié aux trois types, influençant la suite de l'aventure. Eh oui, la séparation en actes offre donc des embranchements narratifs selon ces décisions, avec plus ou moins de conséquences majeures sur la durée. Bon, les divergences sont globalement temporaires en termes de trame générale avant de nous ramener sur le même chemin, mais c'est dans les détails que tout se joue alors. De ce fait, nous avons la possibilité de convaincre chaque votant en amont en présentant nos arguments (certains appelleront ça de la manipulation), toujours via des choix de dialogues, les infos récoltées aidant évidemment à plaider notre cause. La stratégie s'étend donc au-delà des zones de conflit et le poids de nos décisions se fait sentir, avec des dilemmes cornéliens sur le moment. Entre le ton global du jeu et ce découpage narratif, Triangle Strategy nous a ainsi un peu rappelé l'excellent Radiant Historia, les voyages temporels en moins, ce qui est un sacré compliment ! En résulte donc un certain nombre de fins différentes, offrant une bonne rejouabilité à qui souhaitera découvrir le contenu dans son intégralité.
Rassurez-vous, un mode New Game+ est intégré, avec quelques ajouts au passage, vous n'aurez pas à tout refaire de zéro. Comptez une quarantaine d'heures pour en voir le bout une première fois et donc bien plus pour tout découvrir. Ce temps de jeu n'inclut pas que la quête principale. En effet, nous avons accès à un Campement par l'intermédiaire duquel sont jouées des saynètes avec les personnages de notre équipe. Plus nous les utilisons au combat et plus nous sommes à même d'en apprendre plus sur leur passé et leur personnalité, des détails fort croustillants pouvant s'y glisser. De la même manière, de nouvelles recrues peuvent rejoignent nos rangs par ce procédé, sans que les conditions ne soient bien claires quant à leur déblocage si ce n’est que le niveau de Conviction influe. Leur arrivée ne coïncide en revanche pas spécialement avec la trame, créant un certain décalage ruinant quelque peu l'immersion. Pour vous illustrer cela, la tavernière du camp est devenue une unité jouable et nous a parlé de guerre alors que nous vivions justement les évènements déclencheurs du conflit... C'est certes du détail, et ils font plus office de bonus qu'autre chose au début, mais ça reste dommage que cet aspect n'ait pas été mieux inclus. En revanche, quel régal d'admirer leurs illustrations, qui sont véritablement à tomber !
Croiser le fer, une inéluctabilité ?
Bien évidemment, il faut un bon gameplay pour accompagner cette narration et Triangle Strategy n'a pas à s'en faire de ce côté-là. Nous prenons donc part à des batailles sur terrains quadrillés, qui sont aussi rares qu'elles peuvent se révéler intenses, à raison d'une par chapitre. Oui, le ratio avec l'énorme quantité de texte pourrait en décourager certains, c'est un parti pris. Puisqu'il s'agit d'un T-RPG, nos unités disposent donc d'un niveau. Alors, comment faire face à un ennemi bien trop puissant dans ce cas ? Déjà, rassurez-vous, il n'y a aucune mort permanente, seul atteindre l'objectif fixé compte. Ensuite, lors d'une défaite, l'XP est conservée, nous devenons ainsi plus forts avant de réessayer, une bonne manière de récompenser l'investissement en termes de temps de jeu, certains affrontements étant particulièrement longs. L'autre méthode pour progresser est de farmer les simulations de combat à la taverne du camp, ces dernières se débloquant au fil de l'aventure, offrant des récompenses fort utiles. C'est d'ailleurs le meilleur moyen d'améliorer les personnages qui sont à la traine, tous ne pouvant pas être utilisés à chaque fois.
La richesse du gameplay est donc à saluer.
L'évolution du groupe ne se limite pas à un niveau et passe également par un arbre de compétence pour l'arme de chaque unité, sur trois rangs, nécessitant d'y investir des matériaux et de l'argent. Amélioration des dégâts, de la santé et d'autres statistiques sont ici au programme, c'est simple et efficace, l'interface étant particulièrement réussie. Il est aussi possible d'effectuer un avancement de grade par tranche de dix niveaux. Par exemple, Serenor peut passer de Sabreur (Vétéran) à Sabreur d'élite (Fleuron) au-delà du niveau 20, à condition toutefois d'avoir la médaille correspondante, des récompenses très rares. Outre le changement de sprite au combat (mais pas durant les cinématiques), cela permet notamment d'acquérir des compétences supplémentaires. L'ergonomie de ce menu est là encore bien pratique, puisque d'une simple pression des gâchettes ZR ou ZL s'affiche un classement des unités selon la stat voulue. En fonction de nos exploits sur le champ de bataille, nous engrangeons des Points de haut-faits à échanger au Comptoir de troc contre des éléments de lore et des Atouts. Ces derniers sont limités à un usage par combat et selon un nombre de points, rien de plus normal pour des techniques utilisables à tout moment, capables par exemple de téléporter une unité ou de la soigner.
Sur le terrain, les actions s'effectuent donc au tour par tour, avec une visibilité sur ceux à venir pour anticiper notre placement et les cibles à vaincre en priorité. Par rapport à d'autres titres du genre, Triangle Strategy use de la différence de hauteur entre les cases lors du calcul des dégâts et nous fait bien cogiter sur le positionnement en fin de tour de nos troupes. En effet, une attaque dans le dos est bien plus dangereuse. Et si notre cible se retrouve prise en sandwich entre deux de nos personnages, l'un positionné de face en train d'attaquer et l'autre derrière, ce dernier enchaînera avec un coup bonus. Une tactique fort intéressante à exploiter, mais qui fait bien mal lorsque c'est le camp adverse qui en abuse ! Autres joyeusetés, les éléments, capables de faire flamber des barrières ou la végétation, de créer une barrière de glace ou encore de souffler les unités au point de les faire se retourner. Attaques à distance à l'arc ou avec la magie, empoisonnement, renforcement des statistiques et bien plus encore, les possibilités sont nombreuses et dépendent de qui nous alignons et avons en face de nous. La richesse du gameplay est donc à saluer, simple à prendre en mains, mais avec assez de profondeur pour bien s'amuser. Tout est de plus bien expliqué, alors même un néophyte devrait pouvoir se débrouiller. La diversité des cartes est aussi à relever, avec différents objectifs et des situations n’hésitant pas à nous mettre en difficulté.
Deux légers bémols sont toutefois à relever, à commencer par la caméra un peu capricieuse ou pas forcément intuitive dans son orientation. L'autre souci est de l'ordre de l'immersion, avec là encore une dissonance possible entre ce qu'il se passe durant la bataille puis lors de la phase narrative qui suit. L'exemple qui nous a le plus frappé est l'activation d'un certain piège brûlant vif toutes les troupes se trouvant dans son périmètre. Eh bien, le leader adverse a été pris dedans, nous nous attendions à ce qu'il périsse définitivement, sauf que le scénario avait d'autres projets pour lui et il était donc en forme dans la cinématique suivante... Quand à côté de ça le jeu nous vantait l'horreur de cette ruse, cela passe mal.
A Song of Ice and Fire
Parlons maintenant un peu des graphismes, de la bande-son et du doublage. La HD-2D fait à nouveau des merveilles dans Triangle Strategy, avec des sprites disposant de petites animations très détaillées, des détails comme des fanions flottant au vent, la brise soufflant dans les arbres, les flammes qui crépitent et bien plus. Sur l'écran de la Switch OLED, c'est un plaisir de tous les instants. Nous recommandons d'ailleurs le mode Portable, bien plus agréable pour lire l'énorme quantité de texte. Pour autant, c'est tout aussi propre en mode TV, donc à vous de voir ce qui vous convient le mieux.
Difficile de décrocher une fois plongé dans son intrigue.
Avant de débuter une partie, il est possible de choisir entre les voix anglaises et japonaises (avec des sous-titres français), ces dernières ayant évidemment trouvé grâce à nos oreilles, avec des seiyū parfaitement impliqués dans leur rôle. De son côté, l'OST composée par Akira Senju est un régal, ses musiques orchestrales mêlant violons, piano, flutes ou encore mandolines étant parfaitement en accord avec l'action et les décors.
Ah, et avant de conclure, sachez qu'un système de sauvegarde automatique est présent, en plus de la dizaine de slots manuels (pratiques pour les choix) et qu'il est possible d'interrompre un combat si jamais le temps vous manque. Enfin, nous avons relevé de rares fautes d'orthographe et/ou oublis de traduction au tout début du jeu. Puisqu'un patch a depuis été déployé, ces soucis sont peut-être de l'histoire ancienne, mais autant le préciser si jamais ce n'est pas le cas.
Si vous aimez les univers travaillés, les batailles tactiques à couteaux tirés où chaque détail compte et que les pavés de texte ne vous rebutent pas, alors vous trouverez dans Triangle Strategy une excellente source de divertissement vidéoludique. Difficile de décrocher une fois plongé dans son intrigue, telle une bonne série. Toutefois, son immense quantité de texte par rapport à son nombre de batailles ne plaira pas forcément aux joueurs préférant une expérience plus axée sur le gameplay, aussi réussi soit ce dernier.
Triangle Strategy est disponible dès maintenant sur Amazon.
- Un scénario prenant, riche et bien écrit
- Le système de choix basé sur les Convictions...
- Le gameplay stratégique bien profond
- Une bande-son visant juste, un régal
- La HD-2D, un plaisir pour les mirettes
- Le gameplay et la narration pas toujours en phase
- ... bien qu'il soit un peu trop opaque
- La caméra un peu capricieuse