Ubisoft : harcèlements et agressions sexuelles, Libération met en lumière les agissements de Tommy François
par Amaury M.Le responsable de la ligne éditoriale est présenté comme un prédateur sexuel par les employés, symbole d'une entreprise très masculine et souvent toxique.
Depuis plusieurs jours, les langues se délient chez Ubisoft, et ce n'est pas reluisant pour la firme française... Ashraf Ismail, directeur créatif d'Assassin's Creed Valhalla, a ainsi quitté son poste après des affaires d'infidélités, mais d'autres employés ont surtout pointé du doigt les agissements de Tommy François, vice-président de la ligne éditoriale d'Ubisoft. Libération a mené l'enquête et a récolté des témoignages d'employés, ou d'anciens employés du studio, qui font froid dans le dos.
Ubisoft, c'est pour rappel le troisième studio le plus important du milieu vidéoludique, avec 15 000 employés partout dans le monde, répartis dans une trentaine de studios et avec un chiffre d'affaires de 1,8 milliard de dollars en 2018, avant les échecs de The Division 2 et Ghost Recon Breakpoint donc. Et pourtant, un membre majeur d'Ubisoft à Montreuil, Tommy François, franco-américain responsable de la ligne éditoriale du studio, est dépeint comme « un manipulateur toxique à l'égard des femmes et parfois des hommes », agissant sans impunité depuis de longues années grâce à la protection de Serge Hascoët, directeur créatif d'Ubisoft. Tommy François est présenté au travers de ces témoignages, anonymes évidemment, comme « un gamin » qui associe l'image cool du patron qui fait des batailles de pistolet à eau dans l'open space avec le sérieux d'un homme capable de redresser un projet rapidement, suite aux ordres de Serge Hascoët. Un homme cependant « incapable d'interagir avec les femmes sans faire en permanence des allusions d'ordre sexuel ». Un ancien employé d'Ubisoft raconte :
C'est le genre à jouer à chat-bite avec ceux qui travaillent pour lui ou à écrire au feutre sur le bras des stagiaires.
Un été, une collègue est venue en robe, il a balancé à haute voix : « Ah, excusez-moi, il faut que j'aille me masturber ! ». À une autre, en jupe, il suggère de faire le poirier.
Ce qui est très pervers, c'est qu'on est dans la culture du cool. Tout ça, ce n'est qu'une blague, il faudrait qu'on ne le prenne pas mal.
Tommy François et sa bande de collègues, masculins, sont surnommés le « Boy's club » dans l'enquête de Libération, mais ce genre de remarques déplacées, qui est quand même du harcèlement, est loin d'être le pire. Une jeune employée d'Ubisoft, qui venait d'arriver dans l'entreprise, raconte que Tommy s'asseyait régulièrement près d'elle pour lui faire des avances, puis la croisant dans une soirée entre collègues avant de « la coincer contre un bar ». Heureusement, d'autres collègues l'ont sorti de là, mais ce genre d'évènements arrivent régulièrement, notamment lors de « la fête de Noël, un truc qui crée beaucoup de drames ». L'ancien employé raconte que Tommy François, ivre, l'a invité à le rejoindre avec son amie à « s'amuser un peu, tout en se tapotant le nez », geste pas très discret lié à la consommation de cocaïne... Face au refus de l'homme et son amie, Tommy leur a « attrapé les fesses » avant de partir. Pire encore, lors de la soirée de Noël 2015, Tommy François aurait essayé d'embrasser de force l'une de ses employées, retenue par d'autres collègues, avant qu'elle ne réussisse à s'enfuir. Une véritable agression sexuelle qui n'aura pas d'incidence, car « tout le monde l'a protégé ».
Une autre personne est également pointée du doigt, un certain M.B., ancien assistant personnel de Serge Hascoët. Un homme qui « aurait pris l'habitude d'une proximité malsaine » avec ses collègues féminins, n'hésitant pas à leur demander :
Quand est-ce qu'on fait l'amour ? Dans quelle salle de réunion ? Où est-ce que c'est planifié dans ton agenda ?
Un homme très proche également de Tommy François qui aurait fait vivre un enfer à son assistante, allant jusqu'à la menacer avec un petit couteau lorsque celle-ci a exprimé son ras-le-bol face à son comportement. Là encore, des collègues masculins ont essayé de la faire taire en lui envoyant des messages, mais M.B. a été sanctionné : déplacé au service Production, toujours à Paris, il finit par quitter Ubisoft en 2018, mais c'est bien le seul.
Si M.B. et surtout Tommy François sont aussi intouchables chez Ubisoft, c'est grâce à leurs relations très proches avec Serge Hascoët. Outre les collègues masculins qui protègent Tommy et M.B., incitant les femmes à se taire, ou tentant de faire passer ces agressions pour de simples blagues potaches et sans méchancetés, les RH (ressources humaines), ne font rien. Comme le rapporte une employée, elles mettent tout en œuvre pour conserver ces « talents » comme Tommy François au sein d'Ubisoft.
Elles travaillent sous contraintes, avec comme objectif de retenir les talents. Il ne faut absolument pas qu'ils partent, il faut soigner cette image de « great place to work », fidéliser les gens. Alors, quand surgissent des cas de harcèlement sexuel ou moral, il y a une omerta. On sacrifie les petits.
Ainsi, les éléments les plus problématiques d'Ubisoft sont transférés dans d'autres studios de la firme, les RH sont même accusés de « complicité induite avec Tommy François ». Dès lors, les victimes se retrouvent abandonnées, et la plupart finissent par quitter l'entreprise de leur propre chef, « dans le cadre d'une rupture conventionnelle », avec un dédommagement financier et un accord de confidentialité. Serge Hascoët et M.B. n'ont pas répondu aux sollicitations de Libération, mais Ubisoft a envoyé un communiqué, qui ne confirme pas la mise à pied de Tommy François et Maxime Béland, homologue de Tommy à Toronto également accusé d'agressions sexuelles, comme le rapporte pourtant Bloomberg. Un communiqué similaire à celui partagé publiquement il y a quelques jours, et qui stipule :
Les récentes allégations ont clairement mis en évidence que nous devons faire plus en tant qu'entreprise pour que nos employés se sentent respectés, en sécurité et responsabilisés sur le lieu de travail. Dès qu'elle a été informée de ces allégations, la société a lancé une enquête approfondie menée par un consultant externe. Cette enquête est en cours, et nous prendrons rapidement les mesures appropriées en fonction de ses résultats. Nous prendrons également des mesures importantes et concrètes pour améliorer la culture d'Ubisoft. Nous le ferons dans la plus grande transparence, et nous prévoyons de communiquer les mesures prises et les changements apportés au fur et à mesure de leur mise en œuvre dans les jours et les semaines à venir.
À l'heure actuelle, aucune femme n'a porté plainte, et elles ne représentent que 22 % des effectifs d'Ubisoft, preuve qu'il est bien difficile de survivre dans ce milieu toxique pour elles. Alors, est-ce enfin la fin du Boy's club et des harcèlements et agressions sexuelles chez Ubisoft ? Pas sûr, car les allégations dévoilées sur Twitter ces derniers jours sont perçues au sein de l'entreprise comme « une inquisition de justiciers bien-pensants », et Ubisoft chercherait davantage à protéger ses talents comme Tommy François plutôt que de les condamner et faire évoluer les mentalités en interne. Une employée déplore :
Les messages sur la « safe place » Ubi, sur l'entreprise très inclusive, c'est du double discours.
L'enquête de Libération est à retrouver dans le numéro 12150 du jeudi 2 juillet 2020 ou sur Libération.fr, pour les abonnés. Ubisoft sortira pour rappel en fin d'année Assassin's Creed Valhalla, qui risque de faire beaucoup parler de lui et qui est disponible en précommande sur Amazon.fr à 69,99 € en édition limitée.
Clint008 Rédacteur - Testeur |