Nintendo lance ce 12 avril sur le marché un Labo VR sur Switch. Le PEGI est affiché à 7 ans alors que jusqu'à présent, la VR était déconseillée aux moins de 13 ans. Une contradiction, ou une avancée, dans un univers encore obscur, à laquelle nous avons confronté notre psy.
L’annonce avait été faite en février et, plus récemment, nous vous avons fait découvrir la bande-annonce officielle du lancement du Nintendo Labo Kit VR sur Switch. Cette dernière présente des contenus diversifiés, créatifs, ludiques, mais ayant tous comme point commun de s’adresser aux plus jeunes. Jusque-là rien d’étonnant dans la mesure où le produit se veut un contenu familial. Nous avons d'ailleurs toujours salué la fonction jouet qu’il restitue à travers la matérialisation de celui-ci. Et là, nous sommes servis : du masque-appareil photo à la trompe d’éléphant, en termes « d’objet jouet » la licence fait la part belle à l’imaginaire. Eh non, la psy que je suis ne fera aucun commentaire sur la fonction phallique de cette extension en carton !
Comment les en priver ? En fait la question ne serait pas là. Dans les faits, et c’est une certitude, ne pas rendre accessible la technologie de demain aux jeunes générations serait un contresens.
En bref, comme avec les précédents kits, nous jouons en famille. Les parents aident à la construction et les enfants s’en amusent, à moins que ce ne soit l’inverse. Le Nintendo Labo plait pour cela, un peu moins aux parents un peu maniaques qui ne savent toujours pas quoi faire des assemblages qui trainent sur les étagères, mais il a toujours été un support original, ludique et séduisant. Le Nintendo Labo était donc jusque-là un bon, voire un très bon élève, dans la classe du vidéoludique. Je dis bien « était », car contre toute attente, maintenant, le géant nous envoie dans la réalité virtuelle. Il répond ainsi incontestablement à une demande des plus jeunes à pouvoir accéder à cet environnement qui est envisagé de plus en plus comme le support de demain.
Comment les en priver ? En fait, la question ne serait pas là. Dans les faits, et c’est une certitude, ne pas rendre accessible la technologie de demain aux jeunes générations serait un contresens. La question serait peut-être alors plutôt de se demander : Pourquoi ? Pourquoi, la réalité virtuelle a-t-elle mis autant de temps avant de tenter de légitimer sa place auprès des plus jeunes ? Pourquoi pouvons-nous encore la penser inadaptée, voire dangereuse ? Et pourquoi continuer à poser des avertissements vis-à-vis de son utilisation ?
Il y avait jusque-là deux grands axes de réflexion qui nous faisaient prendre quelques précautions quant à l’usage de la réalité virtuelle chez les plus jeunes, au-delà du risque de certains contenus de provoquer des traumatismes, comme sur n’importe quel support d’ailleurs. Et nous voyons là, avec Nintendo, qu’en termes de contenus la question ne se pose pas, ils sont très adaptés aux plus jeunes. Ces deux grands axes étaient physiologiques pour le premier et concernant la construction psychique pour le second. C’est pour cette raison qu’il était recommandé de ne pas faire usage de la VR chez les moins de 13 ans. Il s’agissait là d’une recommandation, pas d’une interdiction. L’âge avait été plus ou moins fixé de manière arbitraire et sur les recommandations de Facebook faites en termes de protection des jeunes utilisateurs (interdiction de collecter des infos sur les mineurs de moins de treize ans aux États-Unis).
C’est pour cette raison qu’il était recommandé de ne pas faire usage de la VR chez les moins de 13 ans. Il s’agissait là d’une recommandation, pas d’une interdiction. Mais dans les faits, cet âge correspond à une forme d’aboutissement de développement de l’appareil visuel.
Mais dans les faits, cet âge correspond à une forme d’aboutissement de développement de l’appareil visuel. L’œil est le seul organe qui ne grandit pas depuis notre naissance, mais l’écartement pupillaire de l’enfant quant à lui évolue. Les masques existants étaient pour la plus grande part non adaptés à cette condition. Conséquence directe : une mauvaise expérience VR et une utilisation qui demandait à l’enfant une adaptation visuelle conséquente. Dans la mesure où cela constituait des expériences très courtes et non répétées, pour dire vrai, ce n’était pas vraiment une difficulté (en dehors de l’utilisation de quelques sacs à vomi ). C’était donc la répétition qui posait difficulté, car les adaptations successives pouvaient affecter considérablement, et surtout durablement, la vue de nos enfants. Voilà donc ce qui était redouté. Comment la Switch a-t-elle pris en charge cette difficulté ? Comme d’autres petites structures s’étaient déjà penchées sur le sujet et proposent aujourd’hui des produits « adaptés » aux enfants, gageons que ce fut le cas.
Le deuxième volet de la problématique concerne plus le développement psychique de l’enfant, et là, nous ne sommes pas devant une moindre difficulté. La structure psychique est en quelques mots ce que nous mettons en place entre nous et nos environnements respectifs pour pouvoir y fonctionner en tant qu’individus. Il s’agit donc de tous les procédés, défensifs pour la plupart, que nous mettons en place pour faire face à l’extérieur. Chacun d’entre nous va s’établir dans une forme de structuration, le plus souvent névrotique. Le développement de cette dernière est très en lien avec la plasticité cérébrale de chacun, qui est existante toute la vie, mais plus importante avant les 12 ans. Elle diminue avec les années et nous la pensons ainsi beaucoup plus importante encore à 6 ans qu’à 12. C’est donc sur cette période de la vie, d'in utero à 12 ans, que nous nous construisons et établissons la base constituante de notre psyché. Jusque-là rien de neuf sous le soleil.
Le deuxième volet de la problématique concerne plus le développement psychique de l’enfant, et là, nous ne sommes pas devant une moindre difficulté. Le développement de cette dernière est très en lien avec la plasticité cérébrale de chacun, qui est existante toute la vie, mais plus importante avant les 12 ans.
Mais, c’est là où les choses se corsent un peu. Les structures sur lesquelles nous devons être plus vigilants sont celles mettant en jeu une certaine porosité des limites entre le dehors et le dedans, le bien et le mal, le réel et l’imaginaire. Quand l’imperméabilité est moins établie, nous prenons le risque de voir se développer des processus de nature plus psychotique qui pourront poser la question ultérieure du psychopathologique. Les décompensations psychotiques qui peuvent survenir bien plus tard donnent à voir des symptomatologies peu réjouissantes : déréalisations, troubles dissociatifs, paranoïa, hallucinations, bouffées délirantes pour n’évoquer qu’elles. Nous devons donc éviter de renforcer des appréciations et comportements chez les plus jeunes qui pourraient amener au développement de ce type de structure. Et là, le concept de réalité virtuelle chez les plus jeunes pose effectivement une véritable question.
Mais attention, il s’agit d’une précaution d’usage et nous ne sommes pas en train de dire que la réalité virtuelle va rendre nos enfants systématiquement fous. Dans la nature des contenus, nous savons qu’un accès à un monde plus ou moins réaliste, où le graphisme va donc prendre une part très importante, va commencer à apporter des éléments de réponse. Un monde imaginaire, surcaractérisé par des éléments dénaturalisés, pixellisés, colorés et enfantins, devrait permettre de mettre une distance en théorie suffisamment efficace. De même, la présence de l’objet qui s’interpose entre le dedans et le dehors renvoie au matériel inconscient disant que oui il s’agit bien d’un jeu, et que les limites sont établies. Qu’adviendra-t-il lorsque le masque disparaîtra au profit de lunettes voire de lentilles de réalité virtuelle ?
Cela reste à nous parents d’apprécier ce que nous voulons pour le bien-être et le bon développement de nos enfants. Devons-nous continuer à les priver de ces accès ou au contraire les accompagner pour qu’ils en fassent bon usage ?
Comme à chaque avancée, les inquiétudes portent sur celles futures. Aussi, si Nintendo a réussi à franchir le pas, et semble avoir pris les justes mesures de ces enjeux, n’a-t-il pas en même temps ouvert les portes de la VR aux plus jeunes de manière trop évidente. Les autres développeurs suivront-ils cette tendance, et ce d’autant plus que le marché est juteux et la demande pressante ? Quoi qu’il en soit, cela reste à nous parents d’apprécier ce que nous voulons pour le bien-être et le bon développement de nos enfants. Devons-nous continuer à les priver de ces accès ou au contraire les accompagner pour qu’ils en fassent bon usage ? Le bon sens pourrait nous inviter à les éloigner de la VR jusqu’à leurs 12 ans. Dans les faits, nous recommandons de ne jamais exposer un enfant avant ses 7 ans. Si la tentation devient trop grande, il conviendra alors de bien les accompagner dans ces courtes expériences, en veillant entre autres à leur rappeler l’existence du monde réel. Pour cela, une main sur l’épaule et un petit mot glissé de l’extérieur devraient pouvoir suffire.
Vous voici parents avertis, maintenant à vous de jouer !